Relations de voisinage et cohésion sociale : ce que dit la sociologie
voisinage

Relations de voisinage et cohésion sociale : ce que dit la sociologie

Relations de voisinage et cohésion sociale : ce que dit la sociologie

Les relations de voisinage seraient-elles une « bouffée d’air social » ? Éclairage avec Guillaume Favre et Lydie Launay, deux sociologues de l’Université Toulouse Jean Jaurès, membres du LISST, en amont d’une étude AUAT. 

Les travaux des deux chercheurs éclairent les mécanismes qui régissent nos rapports de voisinage, entre ouverture sociale et entre-soi. Leurs réflexions apportent un premier éclairage sur cette thématique de cohésion sociale, en amont de la publication d’une étude AUAT prévue en 2026. Rencontre. 

Vous avez mené une enquête sur les relations sociales et l’entre-soi dans la région toulousaine. Quelle était la question centrale de ce travail et les grands messages qui en ressortent ? 

Guillaume Favre - Notre enquête, menée en 2017 auprès de 709 personnes dans l’agglomération toulousaine, nous a permis d’étudier la place qu’occupent les relations de voisinage dans les réseaux personnels. L’objectif initial était d’observer si des évolutions avaient eu lieu depuis une enquête similaire de 2001, en interrogeant la mobilité résidentielle des ménages, l’allongement des études, l’usage généralisé d’internet et des technologies d’information et de communication…  L’une de nos questions était : lorsque l’on resitue les relations avec les voisins dans l’ensemble des relations qui font l’ordinaire de notre sociabilité, contribuent-elles plutôt à renforcer l’homogénéité sociale ou, à l’inverse, à apporter de l’hétérogénéité ?  

Notre conclusion est que, contrairement aux idées reçues, les relations avec les voisins constituent souvent une « bouffée d’air social ». Elles introduisent plus de diversité dans nos relations que les collègues, les amis ou la famille, avec lesquels nous avons une plus grande proximité sociale. Les voisins agissent alors comme des « ponts sociaux ». Ces relations favorisent l’ouverture à d’autres milieux que le leur, sauf pour les personnes moins diplômées résidant dans des quartiers populaires. Dans ce cas, les relations de voisinage contribuent plus à l’entre-soi que leurs autres relations sociales.  

Le lieu de vie influence-t-il vraiment notre vie sociale ? 

Nos travaux invitent ainsi à relativiser la mixité résidentielle face à l’entre-soi social. Pour relier ce sujet à l’urbanisme, nous avons constaté que la vie sociale pèse beaucoup plus dans la composition de nos réseaux personnels que l’endroit où l’on vit. En effet, résider dans sa commune d’origine (où l’on a souvent gardé des amis de longue date) a un impact direct sur sa vie sociale. Le quartier pèse moins que ce que l’on y fait : on peut tout à fait vivre des années à côté de voisins sans les connaître si l’on a des rythmes de vie différents, ou si un foyer compte des enfants et pas l’autre, ce qui réduit l’opportunité de se connaître par l’école, par exemple. 

Photo représentant des enfants en route vers l'école

Quels facteurs influencent la qualité des relations de voisinage ? 

Lydie Launay - L’âge est un facteur clé. Les personnes âgées ont davantage de relations de voisinage, souvent par sédentarité et disparition d’autres cercles sociaux. Avoir des enfants favorise aussi les relations locales, via l’école ou les activités de loisirs partagées. 

Le statut d’occupation joue également un rôle important : être propriétaire tend à faciliter les relations, du fait d’un certain sentiment d’ancrage, de la projection dans la durée, mais aussi d’impératifs liés à la gestion de copropriété, à des logiques financières ou encore familiales. En revanche, le cadre géographique (ville, campagne pour le dire rapidement) a un effet plus limité que ce que l’on imagine. Ce qui influe véritablement, ce sont les contextes d’activité – école, association, parcs, espaces publics – qui structurent les occasions de rencontre. C’est là un levier pour les collectivités : encourager les activités dans différents espaces, donner aux habitants l’occasion d’y participer. L’enjeu est de favoriser des activités diverses (sport, culture, loisirs, etc.) qui rassemblent au-delà des catégories les plus représentées d’un quartier et tout en restant accessibles au plus grand nombre. 

credit balma2024 : photo de fête sur la place de la libération à Balma.
Crédit ville de Balma, place de la libération

Les réseaux sociaux numériques renforcent-ils les liens de proximité ? 

Guillaume Favre - D’après nos travaux avec Julien Figeac, les réseaux sociaux numériques ont un effet marginal sur les relations et, a fortiori les relations de voisinage. Ils renforcent surtout les liens faibles (connaissances éloignées), via des interactions régulières ou des centres d’intérêt communs (partage de contenus politiques ou divertissants). On observe aussi que les groupes WhatsApp de voisins aident à créer des dynamiques, autour de projets (intervention d’un artisan, pétition). En revanche, on observe une diminution des petits échanges du quotidien au cours des dernières décennies – comme celui de sonner pour lui emprunter du sel – au profit de messages numériques. 

Avez-vous observé les effets des politiques de mixité sociale sur les pratiques de voisinage ? 

Lydie Launay – Lorsque les politiques de mixité sociale déplacent des populations sans tenir compte de leurs réseaux préexistants, elles peuvent accentuer l’isolement. Le risque majeur, pour les personnes relogées sans emploi ou activités de loisirs, est la perte progressive de relations de longue date. Même si celles-ci ne sont pas intimes ou amicales, elles jouent un rôle essentiel dans le maintien d’une vie sociale ordinaire. Ces relations donnent aussi accès à des petites ressources du quotidien, comme de l’aide pour faire des courses, ou à l’inverse rendre service à la famille d’à côté, qui est un geste anodin mais valorisant socialement. La mixité ne se décrète pas par le bâti. Elle doit s’appuyer sur des activités sociales (loisirs, associatives, scolaires) dans des espaces communs pour que la coprésence se transforme en véritable cohabitation, si tel est le souhait des habitants.   

Quel rôle les relations de voisinage jouent-elles face aux crises ? 

Guillaume Favre – Nous avons travaillé sur ce sujet pendant la pandémie de covid-19. Lors des confinements, on a observé un recentrage sur la famille, les amis et les voisins en partie par contrainte. Les voisins sont devenus une ressource cruciale pour les jeunes, les citadins et les personnes sans enfants, qui avaient auparavant peu de relations de proximité. En temps de crise, on a aussi observé que les voisins sont une ressource, en particulier pour les personnes associées aux catégories populaires. Ils facilitent l’accès à l’information et soutiennent l’entraide. Plus globalement, les relations de voisinage sont une ressource qui repose sur une confiance préexistante.  

Pour aller plus loin

  • « Les voisins : une bouffée d’air social ? », Lydie Launay & Guillaume Favre, 2024. Lien
  • Figeac, J., & Favre, G. (2023). How behavioral homophily on social media influences the perception of tie-strengthening within young adults’ personal networks. New Media & Society, 25(8), 1971-1990. Lien.  
  • Grossetti, M., Favre, G., Figeac, J., & Launay, L. (2023). Les perturbations des relations interpersonnelles durant la pandémie de Covid-19. Sociologie, 14(2), 199-221. Lien.

Partager  : 

The owner of this website has made a commitment to accessibility and inclusion, please report any problems that you encounter using the contact form on this website. This site uses the WP ADA Compliance Check plugin to enhance accessibility.