José Roman : « Nous avons ouvert portes et fenêtres pour faire au mieux »

José Roman : « Nous avons ouvert portes et fenêtres pour faire au mieux »

José Roman revient sur les initiatives prises à l’époque pour intéresser les élus toulousains à des exemples inspirants de projets d’urbanisme et d’aménagement.

José Roman : « Nous avons ouvert portes et fenêtres pour faire au mieux »

Directeur de l’AUAT de 1989 à 1992, José Roman revient sur les initiatives prises à l’époque pour intéresser les élus toulousains à des exemples inspirants de projets d’urbanisme et d’aménagement. Il témoigne aussi des questionnements d’alors avec le monde de la recherche.

Pouvez-vous résumer l’état d’esprit de l’agence entre 1989 et 1992 ?

C’était une période d’effervescence. L’équipe est passée de 30 à 50 salariés en 4 ans du fait d’une croissance urbaine record. Cela a stimulé les demandes de collectivités et la révision du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme.

Sur le fond, l’échec des grands ensembles urbains était devenu l’obsession des professionnels du pays. J’étais marqué comme eux par cette fameuse campagne de photos aériennes de la DATAR, intitulée la France urbaine vue du ciel. Elle montrait ces villes qui portaient toutes à leurs abords, sur des centaines d’hectares, le stigmate massif de l’urbanisme contemporain. Nous cherchions tous une nouvelle voie et de nouvelles formes pour cette agglomération qui avait engagé deux villes nouvelles sur son territoire. N’oublions pas enfin la ville historique : un domaine dans lequel Toulouse passait pour manquer d’audace tant en matière d’architecture que de plateau piéton. Il est vrai que la première rue piétonne (rue Saint-Rome) n’avait vu le jour qu’en 1988, soit 20 ans après la première de France à Rouen. Nous avons choisi d’ouvrir toutes grandes les fenêtres sur ce qui se faisait ailleurs.

Pouvez-vous donner des exemples d’ouvertures ou d’idées impulsées auprès des élus ? 

Pour poursuivre sur la ville historique, nous ne pouvions y exercer qu’un soft power. Nous le fîmes modestement, en présentant à nos élus les meilleurs exemples émergés ailleurs. L’agence noua ainsi un contact durable avec la ville pionnière de Bologne, qui offrait le centre piéton le plus audacieux et le plus étendu d’Europe. Plus près de nous, nous présentions à nos élus les projets très centraux et très audacieux de la ville de Nîmes, quand Montpellier avait déjà de son côté lancé Antigone avec Ricardo Bofill.

Pour ce qui est ensuite des extensions urbaines, nous avons trouvé de la force au schéma directeur de Séville et de l’habileté à ses schémas d’application opérationnels. Mais c’est aussi l’organisation méthodique du nouvel urbanisme catalan que je voulus faire découvrir à mes collègues. Toute l’agence vint à Barcelone apprécier sa vitalité très aboutie. Le développement de la ville par un respect très fidèle des trames historiques avait, vue d’ici, quelque chose de fascinant. Certes l’urbanisme sévillano-catalan ferait un jour école à Toulouse aussi. Mais il y faudrait vingt ans, ce que je n’avais pas exactement mesuré.

Des perceptions différentes s’opposaient aussi sur la densité urbaine, une question qui est encore aujourd’hui en débat avec la perspective du zéro artificialisation nette.

La densité était en effet perçue à l’époque comme s’opposant à la qualité de l’espace. Il faut rappeler ici par parenthèse que l’écologie naissante ne sollicitait les urbanistes que sur ce chapitre-là – tant les préoccupations climatiques nous étaient encore étrangères. Disons-le, nous sommes même restés un peu incrédules quand un spécialiste de Météo France nous annonça, un jour de 1991, et pour la première fois, ce qu’ils appelaient alors « une remontée prévisible de 150 km environ du climat méditerranéen dans les 30 ans à venir »…

Cela dit, pour revenir à nos fameux quartiers prioritaires, le discours public les décrivait en effet comme denses, alors qu’ils accueillaient une population cinq fois moindre qu’un tissu urbain de centre-ville de même ampleur ! Et comme par ailleurs l’espace public y était volontiers cinq fois plus vaste, on voit bien qu’on leur avait mis la barre très haut en matière de vitalité urbaine, pour ne pas dire qu’on leur avait rendu la tâche impossible.

A notre combat naissant pour réhabiliter la vraie densité, la rencontre Fnau de 1993 allait elle aussi prendre sa part : elle retint en effet pour la première fois le thème de la densité urbaine, et c’était déjà (comme en 2021) en faisant le procès de l’étalement urbain.

Vous avez aussi beaucoup questionné les liens avec le monde universitaire 

Dès mon arrivée à l’agence en 1989, c’est notre observateur avisé Michel Buret qui m’a encouragé à développer les échanges avec l’Université du Mirail.

Il se trouve que la figure du Sociologue avait jusque-là été un peu partout celle d’une déploration (nous n‘allions pas à l’essentiel) ; pour autant, il ne nous disait jamais vraiment ce qu’il était préférable de faire.

Et voilà que soudain une nouvelle sociologie universitaire précisait à la fois sa critique à notre égard et son vocabulaire : « Bannissez d’abord le terme de ghetto là où cohabitent 27 nationalités » nous dit-elle pour commencer ; et en fait de vocabulaire, elle exigea aussi plus de rigueur du nôtre : « Votre quête de ce que vous appelez la mixité, dès lors que celle-ci est en réalité assurée au centuple, ne serait-elle pas dès lors tout simplement celle de l’invisibilité ? ».

Cette rigueur nouvelle, associée à une tradition ancienne de libre parole, donnaient à notre agglomération, avec dix ans d’avance, le courage de dire, dans des exposés courageux, ce que les administrations et l’agence ne pouvaient toujours dire aussi clairement elles-mêmes.

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