Grand témoin de la rencontre des observatoires de l’AUAT sur les marchés fonciers, Sonia Guelton nous livre sa vision des enjeux économiques autour des sols et des tendances à l’œuvre, percutées par le ZAN.
Coresponsable du master urbanisme et aménagement de l’Ecole d’urbanisme de Paris et membre du Lab’URBA, Sonia Guelton suit la question foncière de près. Elle revient sur les changements à l’œuvre depuis la loi Climat et résilience et des tendances naissantes qui interrogent les sphères économiques et agricoles.
Vous êtes intervenue lors de la rencontre qui réunissait plusieurs parties intéressées par les marchés fonciers dans l’aire métropolitaine de Toulouse. Comment avez-vous vécu l’exercice ?
Très humblement, car je suis la question foncière depuis le début de ma carrière et ce sujet est en mouvement perpétuel. Le panel de participants était original puisqu’au-delà des Safer, la sphère économique du logement et un organisme de foncier solidaire ont contribué aux échanges. À l’heure du ZAN, c’était particulièrement intéressant de mettre en commun leurs approches.
Vous avez évoqué les changements impulsés par le ZAN et notamment la nouvelle perception des sols qu’il génère. Pouvez-vous revenir sur ce point ?
Nous assistons à une révolution. Au début de mon parcours de connaissance, le foncier était compris comme un ensemble de droits. Il y avait peu de rareté, on a laissé faire avec joie l’étalement urbain. S’ensuivit une baisse d’intérêt pour le foncier, avec peu de réflexions nouvelles. L’envolée des prix dans les années 90, la financiarisation de l’économie ont changé les choses. La prise en compte de l’environnement a ensuite laissé place, depuis 5 ans à peine, à une approche par le sol. Côté académique, une connaissance nouvelle commence à émerger et celle-ci a du mal à cohabiter avec les fondamentaux des années 80. Avant le ZAN, quelques urbanistes faisaient face à des forêts d’écologues et le dialogue était difficile. La donne change à présent puisque le sol est désormais considéré comme une ressource naturelle.
Le sol agricole nourricier fait aujourd’hui l’objet de plus de transactions, comme l’a évoqué la Safer Occitanie…
Le volume des petites transactions augmente effectivement mais le prix des maisons à la campagne reste relativement stable. Lorsque l’offre réduira, les prix monteront mécaniquement. Même si ce n’est pas une nouveauté, ce transfert des tensions urbaines vers les territoires agricoles risque de s’accentuer fortement avec le ZAN. Cela pourrait aussi générer une hausse des prix du blé ou des maraîchages, tout comme celui des forêts à préserver ? Ce n’est pas encore flagrant, mais je suis persuadée que c’est le début de tendances à l’œuvre. Ajoutez des éventuels achats de précaution à 30 ans par des citadins qui souhaitent anticiper les chaleurs invivables du fait du changement climatique… Les repères actuels pourraient bouger, il faut être attentifs.
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La raréfaction de la ressource en eau et son impact sur les prix des terrains irrigables ont aussi été évoqués. Quels autres enjeux pourraient avoir des impacts sur les prix, à la hausse comme à la baisse ?
Les migrations climatiques pourraient avoir des conséquences sur les territoires. Est-ce que le Pas de Calais ou le Massif central susciteront plus de migrations à l’avenir ? De même, les risques côtiers et les épisodes climatiques violents pourraient jouer évidemment. Pour autant, si les prix montent déjà en Bretagne, ils ne devraient pas chuter sur la Côte d’Azur. Pour rester dans l’actualité, les violences urbaines pourraient aussi avoir des déflagrations sur les prix et générer des îlots de richesse ou de pauvreté dans la ville. Les plus aisés se refermeraient sur eux-mêmes… Ce n’est pas à exclure.
Revenons au ZAN. Celui-ci conduit à densifier l’habitat, à mixer les usages des sols… Est-ce que l’on connaît tous les nouveaux modes d’aménager les territoires ?
Pas du tout. Des utopies d’aménagement vont inévitablement revenir, comme vivre dans le sous-sol, ou créer des villes semi-enterrées sur des coteaux… Une ville flottante a vu le jour au Japon, des taxis volants sont prévus aux JO de Paris. Si la technique rend des choses possibles, la question sociale est à considérer, comme celle de l’acceptation. L’Homme ne manque pas de solutions mais il doit gérer les temporalités. La volonté politique peut aussi être payante. À Paris, la réduction de largeur des voiries a été très critiquée et aujourd’hui tout le monde trouve normal d’avoir fait autant de place au vélo…
Reconstruire la ville sur la ville implique des coûts supérieurs à ce que permet l’artificialisation d’un espace naturel, agricole et forestier. Comment pourraient évoluer les modèles économiques du foncier ?
Les coûts d’aménagement vont augmenter, tout comme ceux des matériaux nécessaires pour assurer la densité. Cela va susciter des changements importants pour la méthode dite du « compte à rebours », qui est le résultat du bilan prévisionnel de l’opération envisagée sur le terrain que l’opérateur s’apprête à acheter. La fiscalité va également jouer de plus en plus.
Il existe des modèles économiques différents, tels que les organismes fonciers solidaires le proposent. Mais ce n’est pas en supprimant ou en isolant le foncier qu’on va résoudre le problème ! Cela engage une complexification réglementaire. Nous pourrions aussi imaginer ne plus laisser le choix aux ménages, mais je ne pense pas qu’on arrive à cela. Autre piste : la mutualisation des coûts de foncier. Cela conduirait à proposer des prix plus élevés pour les occupants les plus aisés. Des idées peuvent venir de là.
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La rencontre a aussi permis d’évoquer le risque de surestimation de l’accueil de population dans des territoires. Quelle vision avez-vous du sujet ?
C’est une question centrale surtout pour les villes moyennes. Bâtir pour faire venir entreprises et population est une fuite en avant. Grâce à l’expérience tirée des crises, notamment celle des années 90, on met maintenant plus de flexibilité dans les opérations. Le logement social est aussi un amortisseur. Néanmoins, il faut amener les territoires à stopper cette course en avant et les agences d’urbanisme ont un rôle à jouer pour y parvenir.