Vieillissement : « Faire avec les habitants, pas seulement pour eux »
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Vieillissement : « Faire avec les habitants, pas seulement pour eux »

Vieillissement : « Faire avec les habitants, pas seulement pour eux »

Pour la chercheuse Marina Casula, adapter la ville au vieillissement ne pourra pas se faire uniquement par la technologie. Il est essentiel d’associer les habitants et de prendre en compte leurs besoins de sociabilité.

Si 80 % des logements de 2050 existent déjà aujourd’hui, l’adaptation des territoires est un défi majeur, qui doit concilier enjeux climatiques et accueil des ménages fragiles, dont les personnes âgées. D’ici 2060, un tiers des Français aura plus de 60 ans. Comment préparer nos villes et nos villages à cette évolution sans reproduire les approches descendantes du passé ? Éléments de réponse avec Marina Casula, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Toulouse Capitole, pour qui la clé réside dans une nouvelle posture : coconstruire en partant des besoins réels. 

Vos travaux abordent la nécessité de s’adapter à la multiplicité des formes de vieillissement. Que voulez-vous dire ? 

La silver économie porte souvent une vision techniciste ou médicale du vieillissement, perçu comme un chemin linéaire vers la dépendance. Des solutions comme la télésurveillance ou la robotique sont proposées, avec en toile de fond des croyances dans le progrès technique qui façonnent nos imaginaires. Bien qu’elles soient utiles, ces solutions ne doivent pas éclipser la dimension humaine. Lors de nos travaux sur la ville ouverte aux personnes âgées (programme ÂGIR), leurs aspirations principales concernaient la transmission et le lien social, bien avant la santé. Le prisme médical n’est donc pas l’unique dimension. Il est crucial de reconnaître et d’accompagner le besoin réel de continuer à apporter aux autres, quel que soit son âge. L’enjeu serait donc de maintenir le lien intergénérationnel et d’éviter la mise en retrait social qui peut survenir avec le vieillissement. 

L’AUAT entretient des liens étroits avec le monde de la recherche et de l’enseignement, depuis sa création. Encadrement de thèses, interventions dans les cursus d’établissements toulousains ou albigeois, participation aux enquêtes d’étudiants ou implication dans des concours… Des collaborations multiples sont développées au long cours, en ligne avec les conditions de réussite du projet stratégique AUAT2030

mots des petits papiers âgir 6 février
Nuage de mots réalisé à partir des contributions écrites des séniors impliqués dans ÂGIR (ÂGe Innovation sociale et Réflexivité) 

Dans quelle mesure décloisonner l’approche des enjeux du vieillissement réinterroge-t-il les organisations classiques des administrations ?

La difficulté réside effectivement dans le travail en silos des collectivités : action sociale, urbanisme, culture, transports… Pourtant, les choix d’aménagement ont un impact direct sur la vie des aînés : accès aux commerces, mobilité, préservation des routines… Dans un contexte de restriction budgétaire, le risque est de rater des interdépendances. Par exemple, favoriser les mobilités douces ou l’esthétique d’un revêtement sans considérer les difficultés de déplacement peut exclure certaines personnes, que l’on soit âgé, accompagnant d’enfants ou en pleine force de l’âge mais en convalescence suite à un accident. Il faut prendre le temps de la coopération entre services et, surtout, d’écouter les personnes concernées. Beaucoup de problématiques associées au vieillissement – isolement, difficultés économiques, mobilité – dépassent la question de l’âge. Adapter la ville au vieillissement bénéficiera à tous. 

À budgets restreints, quels aménagements légers sont les plus efficaces pour permettre de bien vieillir chez soi ? 

Dans l’espace public, les bancs et les toilettes publiques reviennent systématiquement dans les demandes. Dans les immeubles, on pourrait réinstaurer des conciergeries, utiles à tous pour créer du lien et rendre de petits services. Pour le logement, au-delà des classiques barres d’appui, c’est l’adaptabilité qui compte : des salles de bains bien conçues dès le départ, un éclairage de qualité, des cloisons modulables pour faire face aux aléas de la vie. Ces aménagements, peu coûteux, profitent à tous, quel que soit l’âge. 

Vos travaux évoquent « l’innovation ascendante ». Quelles sont les clés pour réussir une démarche de coconstruction avec les seniors ? 

L’enjeu pour les collectivités est de mettre en place une ingénierie d’écoute. Ce n’est pas réservé aux grandes collectivités qui ont certes plus de moyens. Cela peut passer par des ateliers citoyens, des conférences, ou simplement un guichet ouvert pour recueillir les aspirations. Il est aussi essentiel de s’appuyer sur le tissu associatif et les structures intermédiaires. Organiser des balades urbaines ou des diagnostics en marchant avec les habitants concernés permet d’identifier les améliorations à l’échelle de la proximité. L’idée est de faire avec et par les personnes, pour une meilleure appropriation des solutions. 

À l’échelle du quartier, comment maintenir des liens de sociabilité pour les aînés ?

Il s’agit de réfléchir aux lieux de convivialité qui favorisent la rencontre intergénérationnelle. Les tiers-lieux sont inspirants, mais de nombreux endroits existent déjà : commerces, bibliothèques… Souvent, ils fonctionnent eux aussi en silo. La collectivité peut jouer un rôle de connecteur pour créer des dynamiques de quartier, où l’on expérimente des activités communes et où l’on tisse des réseaux d’entraide. Un commerce n’est pas qu’un lieu d’achat ; c’est aussi un lieu d’échange. Revitaliser les centres-villes permet d’intégrer cette fonction sociale, au-delà de la seule logique économique.  

A l’échelle d’un quartier, pour les aînés et toutes les générations, nous gagnerons à confronter nos idées aux besoins tels que les habitants les définissent eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une question d’écoute citoyenne ou de solidarité ; c’est un gage d’efficacité. Sans cette association, nous risquons de créer de beaux dispositifs qui ne répondront pas aux attentes réelles et ne seront pas appropriés. C’est la condition sine qua non pour que les aménagements soient utiles, utilisés et durables. 

Poursuivez votre lecture avec un article de la revue Belveder signé par Marina Casula “Les habitats intergénérationnels, des solutions alternatives pour les personnes âgées (et les autres… !)”

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