Alors que l’incertitude réglementaire perdure sur les modalités de mise en œuvre du zéro artificialisation nette, Maitre Laurent Ducroux, avocat, nous livre sa vision de l’actualité juridique et des contentieux sur lesquels il intervient auprès des collectivités.
Vous intervenez auprès de collectivités et d’agences d’urbanisme lors de contentieux ou en conseil. Pouvez-vous rappeler les responsabilités de chacun en matière de conformité juridique pour les exercices de planification ?
Une agence d’urbanisme qui a pour mission de produire un document réglementaire assure de l’ingénierie technique. Si l’agence est tenue d’en vérifier la conformité juridique, la responsabilité revient à la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire la collectivité. Une agence d’urbanisme n’est pas un prestataire juridique. La collectivité doit donc, avec des compétences internes ou externes, piloter la coordination du volet technique avec le cadre juridique.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des contentieux concernant les documents de planification ?
Leur volume s’amplifie, y compris dans les territoires ruraux. SCoT, PLU, PLUi : tous sont concernés.
Les contentieux portent fortement sur des questions de forme et de procédure, notamment parce que les moyens d’attaque sont souvent légers. Le fond est bien sûr attaqué, car c’est lui qui motive en premier lieu les recours. Il nécessite pour autant une expertise technique qui n’est pas donnée à tout le monde. Plus largement, l’augmentation du nombre de textes juridiques expose à chaque fois un peu plus les projets de territoires. Dans ce contexte, le juge administratif a cherché un équilibre entre les enjeux de l’intérêt général, de la sécurité juridique et du principe de légalité. Il prononce des annulations partielles quand les irrégularités portent sur une partie divisible du dossier. Le cas échéant, il passe outre les vices de forme ou de procédure considérés comme non substantiels. Dans le cas contraire, il peut surseoir à statuer et enjoindre à la régularisation plutôt qu’à l’annulation, quand l’offense à la loi peut être réparée.
Les projets politiques sont requestionnés par le ZAN, sur le fond et sur la méthode. Les données et les outils s’imposent ici et là. Comment abordez-vous cette dimension technique ?
Il est manifeste qu’une approche purement quantitative de la consommation foncière tend à affaiblir la réflexion sur le fond. On peut le prendre comme un cadre de contrainte de plus… Mais il est vrai que ce contrôle de chiffres pousse l’arithmétique dans des excès. La perspective de la réduction par deux de la consommation d’espaces pour la première période décennale n’indique pas que ce solde doive être atteint partout. Pourtant, cela prévaut souvent encore à ce jour dans les esprits, ce qui malmène les projets de territoire. Cette trajectoire vers le ZAN, avec son calendrier, est quelque part la dernière réplique de la loi SRU. Si celle-ci évoquait déjà la nécessité d’économiser le foncier, la loi Climat et résilience prend une forme plus dure, sans doute par manque de résultats. Il faut espérer qu’un juste milieu puisse être trouvé pour ne pas laisser la politique entre le marteau et l’enclume.
Quelle vision avez-vous de la mise en œuvre du ZAN au sein des collectivités que vous accompagnez ?
Les acteurs des territoires sont dans la pire des situations. Même de bonne foi, en voulant bien faire, ils ne savent bien souvent que faire. Et je ne parle pas des arbitrages politiques. Dans la période transitoire actuelle, il y a d’énormes flottements de définitions, par exemple dans le décompte de la consommation foncière ou de l’artificialisation. Il en est de même concernant les bases de données, puisque personne n’a les mêmes référentiels. J’ai déjà vu des écarts de valeurs multipliés par 3 ou 4 d’un référentiel à l’autre. Des territoires ont ainsi produit empiriquement des outils qui peuvent être remis en cause par une autre instance. Des collectivités ont parfois décidé de « couper la poire en deux » mais en s’exposant encore, en réalité, à des risques juridiques fatals. C’est un vrai problème, tout comme la mise en œuvre en cascade, depuis le Sraddet jusqu’au PLU/i. Ce sont autant de brèches qui, à l’arrivée, feront le jeu des requérants. Il aurait fallu que la loi et les décrets soient clairs sur les notions et les données, quitte à se donner un peu plus de temps, pour permettre à chacun de consolider les données et de bâtir un scénario de développement plus robuste. Mais tout n’est peut-être pas perdu ?
Outre ces questions foncières qui s’imposent, quels autres points de vigilance sont à considérer particulièrement ?
Les évolutions démographiques et économiques d’un territoire sont des piliers pour les documents d’urbanisme. Les agences d’urbanisme, du fait de leur ancrage territorial, sont là pour aider les collectivités sur ces sujets, avec de larges diagnostics. Il y a aussi des sujets émergents. C’est le cas de la santé, puisque le conseil d’Etat a reconnu que chacun a droit de vivre dans un environnement sain. J’ajoute celui de l’énergie, avec récemment encore la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Celle-ci pose l’enjeu de définir rapidement des zones d’accélération significative de la production d’ENR, pour pouvoir aussi définir des zones de restriction ou d’exclusion, avec un rapport potentiellement complexe entre les échelons territoriaux communaux et intercommunaux. C’est d’autant plus délicat qu’il y a beaucoup de prérequis pour faire des zones.
Enfin, je terminerai en revenant sur un propos tenu au début de notre échange : la procédure, encore et encore, et la gouvernance, avec le besoin d’articuler et d’arbitrer souvent entre des enjeux et des intérêts divergents. Ainsi, dans l’exercice, qui n’est pas simple, de coconstruction d’un projet de PLU intercommunal, les intercommunalités doivent veiller aux oppositions des communes. Si l’une d’entre elles lève la main au cours du projet, il faut prendre le temps de le considérer sous peine de s’exposer notamment à un recours ultérieur.
Laurent Ducroux est avocat associé du cabinet DL Avocats (barreau de Montpellier). Il accompagne notamment les équipes de l’AUAT en lien avec l’actualité juridique et ses impacts sur les projets de planification.