Dans sa thèse soutenue à l’université Toulouse–Jean Jaurès, Ninon Barreau encourage les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement des territoires à s’appuyer sur les approches qualitatives pour étayer leurs connaissances et mieux comprendre les réalités des modes de vie des habitants.
Socio-urbaniste à l’AUAT dans le cadre d’un contrat CIFRE (2021-2024), Ninon Barreau a soutenu début juin 2025 une thèse explorant un enjeu central : en quoi l’évolution des modes de vie interpellent les agences d’urbanisme dans leur manière d’observer les modes de vie des habitants, à l’heure où les données macro et quantitatives tendent à dominer dans les analyses territoriales.

Figurant parmi les axes prioritaires du projet d’agence AUAT2030, la prise en compte des modes de vie complète depuis des années les études de l’agence pour mieux comprendre les particularités d’habitants ou des enjeux particuliers. Interview.
Pourquoi avoir centré votre thèse sur l’étude des modes de vie ?
D’abord, parce-que nous vivons dans une société qui s’individualise, où chacun affirme sa singularité à travers une combinaison personnelle de choix qui construisent son mode de vie. Pour les comprendre, si les chiffres ont des vertus, ils peuvent aussi lisser, voire effacer des réalités quotidiennes vécues par les habitants. L’action publique s’efforçant de maintenir une attention à l’échelle collective et aux situations individuelles, j’ai voulu étudier comment les agences d’urbanisme observent les modes de vie et font usage d’enquêtes qualitatives. J’aborde ainsi les enquêtes sur le terrain et auprès d’habitants et leur utilité pour accompagner l’action publique dans la compréhension de leurs pratiques et de leurs besoins. C’est une des clés de l’urbanisme de demain.
Les politiques publiques d’urbanisme conduisent les acteurs publics à associer la population via des concertations en tous genres, cela ne suffirait pas ?
Les méthodes de participation citoyenne permettent en effet de faire remonter des besoins, ou de tester des perceptions de projets, mais tous les habitants n’y participent pas, et ce sont souvent, voire toujours « les mêmes ». La démarche est différente lorsque l’on interroge une personne sur ses pratiques, ses problématiques du quotidien, son accès aux transports ou encore au marché du travail. Avec méthode, on peut pousser la réflexion pour comprendre les ressorts profonds d’une manière de vivre, les attentes associées ou encore les freins aux changements éventuels de pratiques.
Quelle co-construction avec les citoyens, demain ?
L’implication des citoyens dans le processus de décision politique est un des facteurs critiques qui conditionnera le modèle territorial de demain. Trois hypothèses d’évolution d’ici 2070 sont partagées, dans le cadre du projet prospectif notreDemain de l’AUAT.
Les élus témoignent souvent de ce qu’ils retiennent de leurs rencontres avec des habitants ou des acteurs associatifs sur leurs territoires. Est-ce que cela ne suffit pas pour cerner les réalités vécues ?
Le politique se nourrit effectivement des « petites histoires », ce qui développe la subjectivité de la prise de décision, comme l’a montré Alain Faure (CNRS) dans ses recherches sur « les empreintes singulières des émotions premières des élus locaux ». Par son travail d’enquête de terrain, un sociologue réalise un travail d’analyse à partir des récits d’expériences et de vie pour dépasser la seule anecdote. Cela aide par exemple à révéler des écarts entre les discours et les pratiques réelles d’habitants. C’était le cas lorsque nous avons étudié la sobriété des usages d’habitants de l’aire métropolitaine de Toulouse, avec l’AUAT. Avec méthode, les approches qualitatives permettent aussi d’interroger des habitants dans des situations précaires, qui n’ont pas l’habitude de parler de ce qu’ils font, ou n’ont pas la capacité de prendre du recul.
Votre thèse a été réalisée à l’AUAT et cela vous a conduit à observer les méthodes qualitatives développées par d’autres agences d’urbanisme. Qu’en retenez-vous ?
Je me suis intéressée à une dizaine d’agences d’urbanisme qui expérimentent différentes méthodes qualitatives, selon des modalités d’enquêtes très variées. A Lyon par exemple, les enquêtes d’usages aboutissent souvent à des préconisations d’aménagement ou d’action concrètes à partir d’une observation fine d’usages dans les espaces publics. A Saint-Nazaire ou à Toulouse, on s’intéresse surtout à la question des modes de vie au sens large, aux pratiques du quotidien et aux représentations des habitants. Oser de nouvelles approches est donc gagnant. Il serait dommageable, pour les projets de territoires en cours de travail et les réflexions prospectives, que les restrictions budgétaires conduisent à freiner ces initiatives. Les partenariats avec les universités, comme le programme POPSU par exemple, sont des pistes intéressantes pour pallier le manque éventuel de ressources.
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