Bonnes pratiques et freins à la sobriété dans l’habitat : des témoignages éclairants
Agence d'urbanisme et d'aménagement Toulouse aire métropolitaine

Bonnes pratiques et freins à la sobriété dans l’habitat : des témoignages éclairants

Bonnes pratiques et freins à la sobriété dans l’habitat : des témoignages éclairants

Plus de sobriété dans les pratiques de programmation, de conception et l’usage des logements ? Retour sur les témoignages partagés lors d’une rencontre des observatoires de l’AUAT portant sur la sobriété dans l’habitat. 

« Épisodes climatiques extrêmes, injonctions à la réduction de la consommation foncière ou encore de matériaux, évolutions réglementaires sur les performances énergétiques… Les territoires sont appelés à massifier la rénovation et favoriser la production d’un parc de logements sobre dès sa conception jusqu’à ses usages » a introduit l’élu Philippe Guyot, en ouverture de la rencontre du 11 octobre. Ces injonctions constituent un défi à un moment où nous avons un nombre croissant de personnes mal logées, en situation de précarité énergétique ou dans des logements suroccupés. » 

Qu’est-ce que la sobriété ?

Qu’elle soit motivée par une approche éthique, philosophique et spirituelle (se détacher des biens de consommation), ou sociale (vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre), la sobriété s’impose aujourd’hui dans le débat public sous l’angle environnemental, pour répondre à l’urgence du changement climatique. Elle requestionne les usages des habitants, les modèles techniques et économiques et très directement les politiques publiques. Appliquée au foncier (le Zéro artificialisation nette) ou au carbone (le Zéro émissions nettes), la sobriété est devenue centrale pour tous les territoires.

Lire aussi ce témoignage de Manon Loisel : « Les enjeux d’équité et de justice sociale autour de la décarbonation des mobilités sont aujourd’hui peu mis en avant. » 

La sobriété, fil rouge de l’observation territoriale de l’AUAT

« En lien avec nos membres, nous avons positionné la sobriété comme fil rouge de l’observation territoriale de l’AUAT en 2023 et 2024 » précise Frédéric Toupin, directeur des études de l’agence. « Cela nous a conduits à partager une définition, basée sur les travaux de l’ADEME et Négawatt. Inverse de l’ébriété, c’est-à-dire de l’excès, la sobriété peut être définie comme une intelligence de consommation par la modération dans la production et dans la consommation de biens et de services nécessitant des ressources énergétiques et matérielles. » La sobriété conduirait ainsi à faire évoluer nos modes de vie, à l’échelle individuelle et collective. Toujours selon l’ADEME, la sobriété n’implique pas un raisonnement binaire. Elle relève de plusieurs registres et passe par un cheminement qui sera propre à la pratique initialement interrogée.  

Les catégories de la sobriété appliqués aux mobilités

Programmation de la sobriété : l’exemple de la presqu’île de Grenoble

La rencontre proposant une approche systémique, le questionnement de la sobriété dans l’habitat a tout d’abord été abordé par la programmation. Franck Izoard, directeur de projets de la SEM Innovia-Sages, a illustré cet enjeu en revenant sur le projet urbain de la presqu’île de Grenoble.

Située à la confluence du Drac et de l’Isère, la presqu’île n’accueillait pas d’habitants jusque dans les années 70. Dotée d’une usine à gaz à la fin du 19ème siècle puis servant de dépôt de munitions jusque dans les années 1950, la presqu’île a ensuite accueilli le CEA, le CNRS et d’autres organismes de recherche scientifique. C’est en 2011 qu’un projet urbain d’ampleur a été engagé. La presqu’île ne comptait alors que 1 000 habitants. 

« Lors de la programmation, nous avons intégré les enjeux d’urbanisme favorable à la santé, concrétisés par des objectifs de bien-être, de confort thermique et d’usage des habitants » a insisté Franck Izoard. « Cela a façonné le projet et poussé à la définition d’ambitions techniques. En matière de performances énergétiques des logements, nous avons adopté en 2020 des objectifs correspondant au seuil 2025 de la RT2020. Quant aux mobilités, nous avons déjà dépassé les ambitions définies en 2012 pour les modes actifs. Le tramway a été inauguré en 2014 alors qu’il y avait peu d’habitants, mais cela a créé les usages. Les ambitions ont été revues à la hausse pour atteindre entre 30 et 40% de déplacements en transports collectifs d’ici 2036. En matière d’espace public, 44% des emprises sont orientées piétons, 23% sont des espaces verts, 27% de la chaussée et seulement 6% pour le stationnement, soit seulement 0,38 stationnement par logement.  »

« Côté énergétique, a été créé un système de géothermie sur nappe avec rejets mutualisés dans l’Isère, géré par la métropole. Il permet de mutualiser les besoins énergétiques tout en proposant des prix avantageux pour les usagers face aux hausses des coûts de l’électricité. En résumé, c’est à l’aménageur d’anticiper, de viser au-delà des normes et de capitaliser sur l’existant pour progresser ».

Aujourd’hui, 340 000 m² de bâtiments ont déjà été livrés en 10 ans sur la presqu’île de Grenoble, soit près de la moitié du projet. 2 400 logements familiaux et 1000 logements étudiants sont habités et dotés de 6 600 m² de commerces et 8 000 m² d’équipements publics.  

Concevoir et produire sobrement : exemples occitans 

Philippe Gonçalves, cofondateur de l’agence Seuil Architecture, a partagé des retours d’expériences sur des opérations de conception et de production de logements axées sur la sobriété.  Il a tout d’abord présenté une réhabilitation d’immeuble des années 50 appartenant au bailleur ICF Atlantique, situé boulevard de la Gare à Toulouse. Ce projet a apporté des réponses aux enjeux de sobriété énergétique par la mise en œuvre d’une approche bioclimatique, une isolation par l’extérieur, ainsi que le remplacement de la chaufferie par un système de production d’énergie solaire et géothermique. L’ensemble des travaux a permis d’obtenir le label BBC-Effinergie Rénovation.

Une ambition énergétique similaire a animé le projet de réhabilitation d’une ancienne magnanerie du XVIIè siècle à Pompertuzat. L’objectif était de proposer six nouveaux logements passifs, en ciblant une valorisation des déchets à 85%, l’utilisation de matériaux biosourcés et la qualité des usages. 

Philippe Gonçalves a également partagé des éléments clés d’une opération de réemploi de matériaux : tuiles plates déclassées par un fabricant et planches oubliées chez un menuisier ont respectivement permis de réaliser 50% de la façade de l’éco-campus à Lasbordes dans l’Aude et d’équiper 80 chambres étudiantes en mobilier. Le projet a par ailleurs obtenu le label “Bâtiment Durable d’Occitanie – niveau argent”. Son intervention a suscité des échanges sur l’évolution des perceptions des matériaux de réemploi, tout comme le repérage de l’écosystème local de potentiels fournisseurs dans les filières du secteur BTP. L’intégration de prescriptions sur ces questions dans les cahiers des charges a été évoquée comme une piste nécessaire pour valoriser les déchets de la construction.

Le projet emblématique Wood’Art a également animé les échanges. « Ce bâtiment est doté d’une structure bois à 76%. Il comprend 130 logements, dont 46 en social, 2 600 m² de commerces et un hôtel, en R+10. Nous avons engagé une démarche de sobriété sur les matières, avec un appel à projets pour se fournir en bois de la Région. Les murs pleins ont été remplacés par des tirants métalliques et des poteaux. Ce projet a constitué un véritable défi car sa mise en œuvre a exigé la structuration d’une filière bois locale. Il a été mené à bien notamment parce qu’il a été coconstruit, avec un grand nombre d’acteurs. »  

Accompagner les usagers face à l’illettrisme énergétique :

Marie-Christine Zelem, sociologue au CERTOP (Université Jean Jaurès), a conclu la rencontre en rappelant qu’au-delà des travaux et des mesures techniques de performance énergétique dans l’habitat, la question des usages par ses occupants demeure. Elle a interpellé les participants en revenant sur le difficile équilibre entre normes techniques (ex : les 19°C réglementaires) et logiques sociales (sensation de confort, habitudes…). Marie-Christine Zelem a insisté sur l’importance d’accompagner les habitants pour qu’ils prennent conscience de leur consommation énergétique et qu’ils maîtrisent les innovations technologiques mises à leur disposition.

« Aller vers la sobriété suppose une transformation de modèle de consommation, une révision de l’offre sur le marché, pour autoriser plus aisément les changements, notamment des modes de vie. Alors on demande souvent aux habitants de s’adapter au logement, quitte à ce que gérer l’énergie prime sur les besoins des habitants. Une conception technique des économies d’énergie est développée, en indiquant que les matériaux nouveaux peuvent permettre telle ou telle réduction de consommation. Mais l’on constate souvent que les logements consomment plus que prévu, que les habitants se plaignent d’inconfort (cadre, relation aux voisins ou avec le bailleur) et pas uniquement de la conception du logement… Il y a une réalité nouvelle à intégrer : les habitants ne sont pas tous des couples avec enfants qui vont travailler à l’extérieur en mettant les enfants à l’école. De plus en plus de personnes restent chez elles, avec des enfants qui jouent au sol. »

« Intégrer les consignes d’usage « prenez soin de, nettoyez, ne pas obstruer… » n’est pas non plus à la portée de tout le monde. Nous n’avons pas tous eu, à l’école, une éducation à l’économie d’énergie. Nous avons oublié le temps d’adaptation des occupants, et que les équipements, souvent difficiles à comprendre et à utiliser, ne sont pas nécessairement adaptés aux usages. Je parle de « tragédie des modes d’emploi » car ils peuvent mettre à l’écart des habitants lorsque ceux-ci n’ont pas la capacité de prendre en main des équipements. Habiter devient compliqué, surtout lorsqu’il s’agit d’énergie, que l’on ne voit pas circuler, qui est produite de manière complexe. Nous avons fabriqué et nous entretenons des crétins énergétiques. » 

Votre structure est membre de l’AUAT ? Retrouvez les supports détaillés sur l’espace membres / ressources / habitat

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